Les origines du jeu d’échecs

Pièces trouvées à LOISY (cliquer ici)

Le jeu d’échecs, tel que nous le connaissons, a émergé dans le nord ouest de l’Inde antique autour du 7° siècle ( après JC ). Certains historiens estiment qu’il est arrivé en Perse sous le règne du Roi Khusrau Nushirwan ( 531 - 578 ), d’autres penchent plutôt pour une période plus récente, le règne du roi Khusrau II Parwiz ( 590 - 628 ). D’après des textes écrits en Pahlavic, le jeu était connu à l’origine sous le nom de " chatrang ". Lors de l’invasion de la Perse par les Arabes ( 634 - 651 ) le nom devint " shatranj " parce les sons "h" et "g" n’existent pas dans la langue arabe. Le jeu s’est ensuite répandu vers la côte méditerranéenne de l’Afrique avec l’expansion militaire islamique pour ensuite atteindre l’Europe. Cependant il est probable que le jeu soit arrivé dans certaines régions d’Europe par d’autres chemins car d’autres peuples le connaissaient.

De nos jours, cette théorie sur les origines du jeu ( Inde - Perse - Islam ) est admise par la plupart des historiens mais il faut signaler cependant les recherches de J. Needham et d’autres historiens qui prétendent qu’avant la période où il est arrivé en Inde, le jeu d’échecs avait pour ancêtre un jeu divin ( ou rituel ) qui provenait de Chine.

De toutes les théories sur le l’origine des échecs, la plus complète, basée sur de longues années de recherche, est celle de l’Anglais H.J.R. Murray. Dans son ouvrage "Histoire du jeu d’échecs" , il cite en l’approuvant la remarque de l’historien américain D.W. Fiske en 1900: " Avant le 7° siècle de notre ère, l’existence du jeu d’échecs n’est prouvée ou démontrée par le moindre indice trouvé dans un document digne de confiance ..... Jusqu’à cette époque, c’est l’obscurité la plus totale."

Dans le plus important des textes Pahlavic, le "Chatrang Namak" , nous apprenons que le jeu d’échecs dans l’Inde antique était un jeu guerrier nommé "chaturanga". Dans les textes en Sanscrit, bon nombre d’allusions sont faites à sa renommée ou même à des termes qui y sont associés.

Une des toutes premières allusion au jeu d’échecs pourrait se trouver dans l’ouvrage romantique "Vasavadatta" ( fin du 6°siècle ) de l’auteur indien Subandhu, mais ce n’est pas véritablement évident. C’est plus clair dans le poème "Harchacharita" de Bana ( début du 7° siècle) où l’on rencontre les mots "chaturanga" et "ashtapada" ensemble. Le mot "chaturanga" a une double signification: le jeu d’échecs et un terme qui faisait référence aux quatre corps de l’armée indienne ( infanterie - chars - cavalerie - éléphants ) . Le mot "ashtapada" désigne une plaque recouverte de 64 petits carrés. Une analyse linguistique a amené à traduire par la suite le mot "chaturanga" par le mot "échiquier".

Le professeur R. Eales écrit dans son livre : " Avant l’an 600 on n’avait pour parler de l’origine du jeu d’échecs, que l’archéologie et des suppositions" or ajoute-t’il plus loin " l’archéologie est de peu d’utilité parce que très peu de pièces ont survécu. Et même si des objets prometteurs sont découverts, c’est presqu’impossible de prouver que ce sont de véritables pièces d’échecs et non pas tout simplement des statuettes."

A notre avis, cependant, c’est seulement grâce aux fouilles archéologiques qu’on pourra trouver réponse à l’origine du jeu d’échecs. Notre confiance dans l’archéologie s’appuie sur les nombreuses découvertes des 60 dernières années. Citons entre autres les 400 pièces ou plus trouvées dans l’ancienne Russie (datant de l’an 900 à l’an 1600 ) , les pièces de Venafro et celles de Nishapur qui ont été datées de l’an 900 de notre ère enfin les nombreuses pièces d’échecs trouvées ça et là en Europe et dans les pays islamiques.

Les objets de Lothal

Nous pensons que dans ce contexte il pourrait être utile d’essayer de suggérer quelques pistes à suivre par l’archéologue qui a le bonheur de rencontrer des pièces de l’ancêtre du jeu d’échecs.

Vers 1850, l’éminent Dr Lightfoot de l'Université de Cambridge, se basant sur son étude du Livre de la Genèse, déclara que le monde avait été créé le 23 Octobre de l’an 4004 avant J.C. à 9h du matin.

Il n’est hélas pas question d’être aussi précis sur la date de la " création " ou du "développement" du jeu d’échecs mais nous aimerions apporter notre aide à ceux qui veulent situer la période au cours de laquelle le jeu a probablement commencé. Notre objectif est de convaincre les archéologues à garder à l’esprit nos pistes d’investigation si par hasard ils découvrent des pièces qui auraient une quelconque ressemblance avec celles d’un jeu d’échecs.

Revenons aux réflexions de H.J.R. Murray qui dit : " Il est impossible d’évaluer avec précision la date où l’Inde a décidé de représenter le chaturanga et ses évolutions par un jeu d’échecs, mais il faut cependant remarquer que cette date ne peut être antérieure à celle qui fait référence à la structure de l’armée sur laquelle elle est basée." Ajoutons que nous sommes persuadés que le jeu n’a pu être conçu dans une période au cours de laquelle au moins l’un des 4 corps d’armée symbolisés dans le jeu était déjà abandonné ou obsolète en terme guerrier.

Si un jeu de guerre était inventé aujourd’hui, il est peu probable que l’inventeur mélange des armes disparues avec d’autres de haute technologie, tels que des arcs et des flèches contre des tanks ou des boulets de canons contre des hélicoptères. Chaque époque a son armement qui lui est propre. Le jeu d’échecs a les symboles militaires propres à une certaine période de l’histoire de la guerre.

Bien sûr, une fois que le jeu d’échecs a été conçu et s’est développé, il est arrivé de lui même, en dépit du symbole militaire démodé qu’il représentait, à exister grâce à une vitalité intellectuelle intrinsèque.

Afin d’établir les dates limites à l’intérieur desquelles le jeu a sans doute été inventé, récapitulons brièvement les symboles militaires utilisés. Il s’agit de l’infanterie, des chars, de la cavalerie et des éléphants. L’histoire militaire, telle que nous la connaissons aujourd’hui commence en fait au 3° millénaire avant J. C. En Mésopotamie avec les Sumériens.

Du point de vue de l’histoire militaire, il existe deux témoignages Sumériens fort intéressants qui ont été mis à jour par les archéologues: un objet rectangulaire , à l’origine en bois, décoré de mosaïques de pierres et de coquillages, appelé "l'étendard d’Ur" ( Babylone - 2500 avant J.C. ) aujourd’hui au British Museum et une colonne gravée appelée "Stèle des vautours" de la même époque et conservée actuellement au Louvre.

Le premier montre l’armée Sumérienne en route pour la bataille: les chars et l’infanterie sont représentés d’une façon très réaliste. L’infanterie est armée tantôt lourdement ( casques de cuivre et haches ) tantôt légèrement ( sans armure, brandissant des haches et des lances courtes). Les chars sont tirés par 2 rosses sauvages ( onagres ) et portent 2 hommes, le conducteur et un guerrier qui jette des javelots légers. L’autre pièce ( celle qui est au Louvre ) montre une infanterie arrangée en phalanges qui préfigurent 2000 ans à l’avance les phalanges grecques qui apportèrent la victoire à Alexandre le Grand.

Pendant 18 siècles les armées seront essentiellement basées sur l’infanterie et les chars. Les chars profitèrent d’améliorations remarquables lorsqu’un jour le cheval remplaça l’onagre. Il est probable que les peuples qui vivaient dans les steppes du Sud Est de l’Europe importèrent vers 2500/2000 avant J.C. des onagres domestiqués de Mésopotamie. Ensuite ils ont commencé à domestiquer les chevaux qui erraient en hordes sauvages sur le territoire. C’est seulement vers 1700 avant J.C. que les chevaux furent utilisés à la guerre comme machine à tirer les chars. Le peuple Hittite, de langue Indo-européenne, basé en Anatolie où leur civilisation fut florissante pendant 500 ans ( 1700 à 1200 avant JC ) améliora le char Sumérien et amena ce corps d’armée à un degré élevé d’efficacité par un système d’attelage élaboré et en introduisant une 3° personne dans l’équipage.

Les Egyptiens améliorèrent eux la mobilité du char, qui contenait 2 guerrier de même rang.

Plusieurs siècles s’écoulèrent avant que de nouvelles idées concernant l’usage du cheval à la guerre, ne se développe. C’est seulement avec le roi d’Assyrie Ashurnasirpal II ( 883/859 avant JC ) qu’un nouveau type de lutte est expérimenté: la cavalerie. Ce n’est pas encore la cavalerie qui sera utilisée et développée par un autre roi Assyrien , Sargon II ( 721 / 705 avant JC ) . C’est à cette période que les 3 corps d’armée ( infanterie, chars, cavalerie ) sont utilisés dans une armée ensemble pour la première fois.

L’usage des éléphants pendant la guerre est originaire de l’Inde. On y fait référence dans les textes Boudhistes du 6° siècle avant JC. Il est même possible que les éléphants aient été utilisé avant. Dans le Rg Vida ( une magnifique collection d’hymnes liturgiques en Sanscrit composés en Inde entre 1500 et 1200 avant JC ) on parle de 2 éléphants courbant la tête et se ruant ensemmble sur l’ennemi. En Inde, les chars et l’infanterie ensemble avec la cavalerie et les éléphants , sont mentionnés dans les poèmes épiques du Mahabharata et Ramayana qui couvrent une période de 600 ans. Selon des historiens de la Grèce antique, le roi indien Porus qui a rencontré les armées d’Alexandre à Hydaspes en 326 avant JC, était à la tête de 50 000 hommes ( infanterie ), 1000 chars, 130 éléphants et 3000 chevaux ( cavalerie ). Ce témoignage prouve qu’à l’époque, les 4 divisions de l’armée indienne étaient déjà utilisées. En Inde, ce type d’armée s’appelait " chaturanga " de chatur = 4 et "anga" = membre.

Les sculptures indiennes de Sanchi, Stupa I, faites par des artistes du 1° siècle avant JC pour célébrer les exploits du roi Asoka Maurya ( 269 / 227 avant JC ) représentent bien ce type d’armée. On peut supposer qu’à l’époque les artistes prenaient des chars contemporains comme modèles. Ces chars étaient tirés par 4 chevaux et portaient 6 hommes. Ils ne se déplaçaient pas rapidement . En Inde le char en tant que véhicule de guerre commença à être moins utilisé peu après le début de l’ère chrétien. Il y survécut cependant jusque vers 300 / 400 . A l’époque de Gupta ( 320 / 500 ) le char n’était rien de plus qu’un simple moyen de transport. Il disparut petit à petit comme force de combat et il semble avoir été complètement abandonné par l’armée des Indes vers l’an 700.

Ainsi d’un point de vue strictement militaire, il semble que le jeu d’échecs originel ait été inventé entre 700 avant JC et 700 après. Cependant si l’on présume que le jeu a pu être inventé sur un territoire comprenant l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et d’une façon plus général en Asie centrale, cette période peut être ramenée entre 400/300 avant JC et 300/400 après. En effet c’est principalement durant cette dernière période que les 4 corps d’armée étaient utilisés ensemble en Inde.

La piste temporelle n’est pas cependant la seule à suivre par l’archéologue. En effet, si ce raisonnement est appliqué à la lettre, cela suppose par exemple que l’ancien jeu égyptien de Senet ( 1300 avant JC ) ne peut être considéré comme un ancêtre du jeu d’échecs parce qu’il date d’une période bien plus ancienne de celle que nous avons définie, mais que l’ornement Romain trouvé à Herculanum pourrait en être un puisqu’il date de 100 avant JC à 100 après. En fait ce n’est pas vraiment cela. Ces deux types de jeux étaient des "tabula" ( que l’on joue sur une tablette ) et l’on y jouait dans la Rome et l’Egypte antique. Il est donc nécessaire d’ajouter aux indices temporels et géographiques des indications sur la forme des pièces. Nous n’avons aucune description des pièces utilisées dans le jeu du "chanturanga" ou celui de "l’ashtapada".

En résumé, nous suggérons que 3 éléments doivent être pris en compte par celui qui rencontre des objets qui pourraient ressembler à des pièces d’échecs:

1. Les dates entre 400/300 avant JC et 300/400 après peuvent être avancées si les 4 divisions de l’armée indienne sont utilisées ensemble.

2. La situation géographique évoquée plus haut est probable.

3. La forme des pièces correspondant aux 4 corps d’armée ( infanterie - chars - cavalerie - éléphants ) doit être prise en compte qu’elle soit réaliste ou symbolique.

Il est réconfortant de noter qu’autour du 7° siècle de notre ère , un jeu, les échecs arrive à inspirer la création de superbes poèmes et la naissance de nombreuses légendes. Cela signifie que ce jeu était déjà populaire et si répandu que cela porte à croire qu’on jouait au jeu d’échecs depuis bien longtemps.

S’il en est ainsi, alors dans quelque endroit inconnu, peut-être même dans un navire échoué au fond des mers, il reste à découvrir les pièces antiques du premier jeu d’échecs de tous les temps. Espérons qu’un jour un archéologue nous donnera cette joie.

Traduction de Marie Claude Sodoyer pour Daniel Villerot